La Veuve : son énigme.

C’est la nuit surtout que je m’active dans mon atelier..

Ce matin, je me suis aperçu que j’avais bien fichu en l’air tout un chapitre, comme je l’avais craint. Le chapitre d’un livre troublant.

Sur une page, tout en haut, une ligne. Il y est écrit :

et pourtant, elle ne demande qu’à vivre. Les fils des prostituées l’assaillent et tranchent net son avenir.

Ensuite, sur toute la page, rien de plus, jusqu’à la fin. Et au bas de cette page :

en effet, seule, et elle commençait à comprendre, grâce aux apprentis cordonniers

Une page de fichue, donc. Il va falloir que je m’y remette. Demain, demain. Je me suis assis sur le bord du lit ; j’ai regardé le portrait de ma Christina, suspendu juste au-dessus de moi. Elle porte une robe d’un bleu profond, très longue, couvrant ses pieds. Elle écrit dans un gros cahier, son carlin à sa gauche, gentiment posté là comme si le sens de sa vie se trouvait sur le tapis ocre, à côté de sa douce, de sa merveilleuse maîtresse. Christina porte une étrange coiffure : un peu bonnet d’âne, un peu cathédrale.

Force et douceur célestes… Comment l’oublier… Christina : elle est devenue veuve la même année qu’elle est devenue orpheline : son existence s’est décidée en quelques mois. A partir de là, elle a mélangé les encres, mêlé les teints de plus belle ; et elle a produit des ouvrages supraterrestres. Son horreur de la Fine Amor me fait rire aux éclats, aujourd’hui encore – mais elle prenait cela très au sérieux : elle pensait que, non, cet amour là, celui de la Rose, on n’y trouvait pas la Femme, ni même les femmes… Et jamais je n’ai osé la contredire.

Je me suis couché sur mon divan, près de mes caches et de mes plombs. Veuve, et puis orpheline… Au fond, ma Christina est devenue elle-même d’un coup, très vite. Elle a immédiatement compris tout ce que la vie exigeait d’elle et ce qu’elle même pouvait en exiger.

Je me suis endormi, rêvant de ses robes bleues, royales. Et de sa beauté céleste. Le Roi dans le Ciel… J’ai prié.

Et je me réveille en sursaut. « Fils de putes ! » D’horribles hurlements. « Laborieux galochards ! » beuglent d’autres en réponse. Des voix juvéniles de petites frappes, avec un fort accent allemand. Et ils cognent dur, ces tudesques, à en juger d’après le vacarme, en bas.

Demain, justement, je dois me rendre à Pizan pour y réparer la malfaçon de mon livre. Je suis imprimeur.

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