(Lu à Littér’Al, la société des Ecrivains d’Alsace et de Moselle, en février dernier)

Je venais de finir de rédiger une étude sur les grands stercoraires et leurs parasites, mon sujet politique préféré. Ma femme et ma fille sortaient pour leur cours de savate. A ce moment, j’ai entendu des craquements au-dessus de ma tête, dans les charpentes de la mansarde que je tentais d’habiter. Cela gambadait, et en somme, cela grignotait furieusement. Un écureuil, ou un loir, ai-je pensé. Cr j’avais l’esprit poétiquement disposé. Un loir, sûrement, qui s’était réfugié dans les toits à partir des branches de l’ arbre.

Mais j’ai dû me rendre à l’évidence quand j’ai vu filer quelque chose au beau milieu de ma symbolique cuisine. C’était un rat, un énorme rat. Il allait tout me dévorer, et moi avec le reste, du moins mes orteils et mes oreilles, la nuit ! Je me suis donc résolu à m’en débarrasser. D’abord, j’ai joué une gavotte de Rameau sur mon clavecin, puis la Friponne de Marin Marais. J’espérais qu’il fuirait. Mais non : Rodolphe aimait la musique ; il s’approchait bien plutôt de l’auguste instrument, et je m’attendais à le voir battre la mesure…

Que faire ? J’ai passé un enregistrement de Marion Le Pen au dernier rassemblement des philatélistes de la Vraie France, pour l’effrayer. Mais ç’a été bien pire : Rodolphe est venu encore plus près, et il s’est dressé sur ses pattes arrière. J’ai vraiment cru qu’il allait danser. Il fallait trouver autre chose. 

Après trois jours, je me suis résolu à placer un piège devant l’ouverture qui donnait sur le toit. Un piège impressionnant. Quelques dizaines de minutes pus tard, j’ai entendu clac ! Puis couic ! L’animal dentu s’était pris la trappe en pleine nuque.

Le rat avait un pelage assez clair, très beau, très soyeux. J’ai eu envie de le caresser pour le consoler dans l’au-delà, pour son entrée au Paradis des Rats. Et plus encore quand j’ai vu ses yeux : de très grands yeux marron qui me fixaient, sans reproche ni douleur, l’air plutôt de vouloir me dire : eh bien, tu m’as vu ? Tu as vu ce que tu as fait ? Hein ? Hein ?

Je me suis retourné, le cœur en berne, et me suis installé à mon bureau pour y composer un Requiem des Rats, parce que j’aime bien que les choses soient à leur place. Le rangement de mon appartement en témoigne. Mais… J’ai sursauté : ça trottait et ça grignotait, là-haut, dans la charpente ! Eh bien ? Un fantôme ?!

Une demi-heure plus tard, j’ai entendu des pas : un rat un peu plus petit que le premier, avec de beaux yeux doux aux grands cils, s’est approché en se déhanchant gracieusement, suivi de très près par un rat encore plus petit et encore plus gracieux. La femme et le fils (ou la fille), sans aucun doute. Aïe ! Il y a donc tant de rats, dans mes charpentes ?  Mais comment leur expliquer la disparition du Papa moustachu ? J’étais bien embarrassé. Il fallait que je leur raconte une histoire ; mais j’étais trop honteux du crime que je venais de commettre. Je leur ai donc expliqué que Papa était parti chercher une agence immobilière pour un logement plus pratique et mieux pourvu en lardons et en choucroute. C’était parfaitement plausible, non ?

Et je me suis précipité à la Meinau, où grâce au conseiller municipal si gentil qui gouverne ce Royaume pittoresque, les rats avaient organisé un véritable Eldorado. Leur cacique et le conseiller municipal s’entendaient très bien ; ils pratiquaient ensemble le consensus à l’allemande.

J’ai posé une cage à lard ; et je n’ai pas tardé à attraper un superbe mâle, majestueux et musclé, très séduisant. Une sorte de Schwarzenegger au museau pointu. 

Je l’ai emmené et l’ai lâché sous les toits, chez moi. La ratte et le raton ont jubilé. Surtout la ratte. Voilà comment j’ai essayé de racheter mon crime. Que cette charmante petite famille dévore mes provisions, mes conduites électriques et ma tuyauterie ! Je l’ai bien mérité.

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